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  • Photo du rédacteurLucie Bressy

L'île Carabane


Le 26 La nuit qui devait m'engloutir me recrache d'une moue dédaigneuse à 23h20. Chaleur, maux de dents, démangeaisons infernales me font tourner en bourrique et ce n'est que vers 5h, porte grande ouverte pour un peu de fraîcheur, que je sombre enfin. Inutile de dire que le réveil est douloureux. Notre train-train du matin se déroule comme une horloge, même si on zappe avec entrain la visite du village, payante qui plus est. Direction l'île de Carabane. C'est la pirogue du campement qui nous fait traverser, à fond les manettes. Miracle, la température est fraîche, la chambre petite sans électricité mais sans histoire, je me réjouis. À midi, la grande terrasse où les repas sont servis se remplit sans que je comprenne comment ni pourquoi. De "toubabs" (blancs), mot que je n'aime pas vraiment. Chacun avec son chauffeur/guide. Certains leur parlent en articulant exagérément ça m'insupporte. La terrasse est pleine, une jeune femme blonde aide au service avec entrain mais pour mon plus grand désespoir arrive un chanteur. Bon, je sais, c'est pas sympa, c'est son seul boulot. Après avoir mangé mon poisson-riz-frites-banane je prends la fuite. L'après-midi petit tour aux alentours : la plage est grande et de tout petits mulets jaillissent hors de l'eau. On retrouve sur la plage la jeune française qui faisait le service, Brunelle, avec deux femmes du cru et une toute petite fille noire comme l'ébène. Elles ramassent des coquillages et on discute un peu, beaucoup. La petite est la fille d'une des deux jeunes femmes. La jeune française était là lors de l'accouchement et du coup la petite porte son prénom. Apparemment ça n'a pas été simple. Deux jours et demi de travail, pas de médication pour soulager la douleur, une matrone qui a fini par lui monter sur le ventre... Des superstitions, des croyances : après la naissance on masse les bébés filles très vigoureusement pour étirer leurs membres. Histoire de la rendre plus belle et plus facile à marier. Hélas, ça ne se passe pas toujours très bien... L'éducation contre la tradition, ce n'est pas encore gagné. Mais au moins, les échographies sont en place et permettent de prévoir les naissances plus délicates pour les envoyer sur la ville. Il y a peu en arrière, une femme était rentrée après son accouchement avec son petit, souffrant toujours elle retourne à la case de santé et là... elle accouche d'un deuxième. Retour au campement. Demain nous devions aller à Cap Skirring, qui semble être l'endroit le plus touristique de la Casamance ? Il n'est pas trop tard pour changer d'avis et en fait, on va faire autrement. Quoi, je ne sais pas encore...

Le soir, on dine avec Brunelle. En fait elle est cliente au long terme et apporte son aide tant au campement qu'au village. Nous en apprenons un peu plus sur la vie de l'île. Et miracle, elle a de l'ibuprofen en trop et me donne une plaquette entière. Je vais pouvoir en prendre deux par jour ! La soirée est très agréable, conversation, fraîcheur... Il est temps d'aller tâcher de dormir. Le 27 La fraîcheur ambiante et le cachet supplémentaire me permettent de dormir jusqu'à 2 heures du matin, le luxe. Ensuite ce sera en pointillés jusqu'à l'heure du petit déjeuner. Le bateau qui dessert Dakar, un gros ferry, est à quai.

On discute avec les uns et les autres. Un jeune femme suisse, au visage avec des traits très nets et visiblement sur la réserve, revient de quatorze mois de mission humanitaire au Mali. Elle était chargée de veiller sur les conditions de détention des prisonniers par la Croix-Rouge. Mais elle reste solitaire et ne cherche pas le contact, on la laisse tranquille. Du bateau arrivent deux voyageurs sacs au dos, une Française et un Allemand. Hasard incroyable, ils font tous les deux leurs débuts dans une carrière de photojournalisme, avec des projets plein la tête. Lukas cherche des évènements locaux à couvrir sans rechercher l'exotisme, Élodie arrive de Mauritanie et parcoure seule toute l'Afrique pour terminer d'ici plusieurs mois son voyage au Bénin lors du festival Vaudou. Vaste programme. Voyager seule n'est pas toujours simple mais ça lui convient. Le matin, Brunelle nous fait faire un tour au village. Je m'arrête à la boulangerie, curieuse du fonctionnement. Le pain est fait chaque nuit, entre minuit et 7 heures. Avec de la farine T55 probablement européenne d'origine et subventionnée par l'État (moins de 30 cts la baguette à peu près) et de la levure boulangère. Le pointage du pain se fait dans un endroit rafraîchi avec de la glace pour éviter que la pâte s'emballe, pareil pour l'apprêt, et la cuisson est faite dans un four à bois. Nous passons ensuite à l'école. Dans la classe des petits. Les longs cheveux blonds et raides de Brunelle les survoltent et ils veulent lui faire des tresses. Mais elle ploie sous le nombre et l'instituteur remet tout le monde au calme. Je regarde les cahiers d'école et songe que l'apprentissage de l'écriture paraît très bien organisé, dès la petite classe. Brunelle connait toutes les femmes et on s'arrête partout. Le midi on va déjeuner dans un petit restau sur la plage, d'un mafé reconstituant tout en observant les dauphins. La sieste sera bienvenue. L'après-midi est inattendue. Brunelle est en bas entourée de trois enfants, deux sœurs et le grand frère. La plus petite, Kumba, à une grosse écharde dans le doigt. J'ai l'habitude et lui enlève. Les deux sœurs sont aussi dissemblables que possible. Sophie est raisonnable, discrète tandis que Kumba est une boule d'énergie bondissante. D'ailleurs elle a envie de danser, on lui met de la musique et la voila à l'œuvre. Rejointe bientôt par son frère, puis sa sœur, puis par d'autres enfants. Brunelle sort des perles, du fil, de quoi dessiner et bientôt c'est une douzaine d'enfants, filles et garçons, catholiques ou musulmans, qui se livrent avec concentration à ces activités manuelles. Même deux grandes au visage grave redeviennent pour un moment des enfants souriantes et insouciantes. Sophie dessine et colorie avec une application extrême un dessin très structuré qu'elle m'offre par la suite. Je suis touchée.

Nous retrouvons nos deux photographes pour la bière et le dîner du soir. C'est très sympa et même l'arrivée des clients qui reviennent de la pêche dans la mangrove, brûlés par le soleil, qui ramènent de grosses prises, ne nous en distrait qu'un moment.

Ce soir, le moment est hors du temps. Coupés du réseau, privés de courant, loin du monde qui gronde et bouillonne sur une plage paisible et sous les étoiles bienveillantes, on croit à la beauté, à la douceur et à la fraternité. Il est temps d'aller dormir, même si des djembés se mettent à résonner non loin.

Impossible de fermer l'œil avant qu'ils ne cessent.

Le récit de la veille ici

Le récit de la suite


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