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  • Photo du rédacteurLucie Bressy

Plongée en ethnies profondes


Le 19/11 Au petit déjeuner je rencontre une jeune femme qui travaille pour une société qui fond les lingots d'or. Elle est québécoise et vit au Burkina qu'elle quitte à cause de l'insécurité actuelle. Un de leurs convois de 240 salariés a été attaqué et ils ont été quasiment tous tués. Elle travaille par périodes de 8 semaines avec quatre semaines de repos sur le Burkina, le Niger et le Sénégal. Mais son travail lui plaît, elle doit faire appliquer les consignes environnementales pour chaque site minier. Chez eux pas de mercure ni de cyanure. Nous partons pour le pays Bassiri et Bedik. On achète des noix de kola, et du savon pour distribuer aux villageois. 87 km de pistes. Un contrôle de papiers. Ça se passe bien et pour un peu je pourrai enrichir ma collection de sourires avec celui du policier. On discute. Sidi est pour certains sujets d'une naïveté confondante. Il suit son horoscope aveuglément. Sur le sujet de l'excision, il dit qu'il laissera la future mère de ses enfants décider. On argumente tous les trois contre et sa position semble se modifier. On tombe ensuite sur le sujet des castes : lui d'après ses parents ne doit pas se marier avec une fille de forgeron ou de cordonnier, sous peine de malheurs récurrents. Là encore nous exprimons prudemment note réticence. Il nous explique aussi "les cousins à plaisanterie". Selon les noms de famille, on peut plaisanter (ou pas). Par exemple les membres de famille nommés Sy peuvent plaisanter avec les membres des familles nommés Diop, entre autres. Cette pratique n'est pas commune à tous les Sénégalais. Il explique également que les abeilles et guêpes de la région sont nombreuses et dangereuses, et que c'est pour ça qu'il n'y aurait pas de chevaux à Kedougou, car ils ne survivent pas aux piqûres??? Nous arrivons dans un campement, chez Balingho. Manque de chance, dix allemands et dix-neuf polonais investissent les lieux. Ils réclament une danse bassari. Sans grand intérêt. Deux françaises arrivent à pied et prennent part au repas pour partir en ne payant que ce qu'elles ont envie de payer. J'admire le culot mais déplore la méthode. Nous irons ensuite à pied visiter le village d'Ethiolo, organisé en quartiers. Au lieu des 4 km annoncés il doit y en avoir à peine 2. On arrive à la place du village. Premières explications : Il y a sept noms de famille et sept prénoms attribués selon le numéro de naissance dans la famille. Et les enfants prennent le nom de famille de la mère. Notre guide nous explique la cérémonie d'initiation, qui n'a pas forcément lieu tous les ans. La vie sociale des Bassaris est organisée par classe d'âge de 6 ans. Les garçons sont initiés à 15 ans, ce qui donne lieu à tout une fête, très codifiée même si c'est apparemment moins dur qu'avant. Et désormais les touristes arrivent par flots pour y assister, ce qui a donné lieu à la création d'une taxe pour les photos et les vidéos. L'argent est utilisé pour améliorer le confort de la place du village. Les rites sont établis, difficiles, (retraite, combats) mais l'époque nouvelle amène de nombreux changements. Il y a aussi une initiation pour les femmes, mais beaucoup plus secrète. La culture Bassari a depuis longtemps été étudiée, notamment par Monique Gessain, qui a publié plusieurs livres sur le sujet. Balingho, notre hôte, salue son opiniâtreté mais conteste son expertise il faut dire qu'il ne semble pas facile d'avoir une vision complète... Nous passons ensuite par la case santé, ou l'implication des (rares) soignants est inversement proportionnelle aux moyens dont ils disposent. Une de leurs actions principales est la prévention du paludisme par une pré-médication de trois jours chaque mois. Les médicaments anti paludisme sont gratuits mais pas ceux qui accompagnent le traitement contre la fièvre par exemple. Je prends comme traitement anti-paludisme des gélules d'artemisia et m'étonne du traitement chimique, nettement plus onéreux et lourd. Une association tente d'informer mais les habitudes sont bien établies. Le soir, au camp, tout est calme. Nous partageons le repas assis, sur une natte en plastique, autour d'un plat partagé avec un universitaire sénégalais, une doctorante espagnole, et nos hôtes. Et à la nuit noire, Balingho, fidèle à la tradition orale des veillées, raconte de sa voix grave ses péripéties à Washington, Paris, où il est allé parler de la culture Bassari. La moitié du public connaît l'histoire par cœur, et rie avant, pendant et après chaque anecdote. Gare à lui s'il en oublie une ! Il est rappelé à l'ordre. La fois où il est resté trois jours à l'hôtel sans se laver parce qu'il ne savait pas comment avoir l'eau, la fois où il a du prendre un café dans une machine automatique et où il croyait qu'il y avait quelqu'un dedans, la fois où il a pris un tapis roulant et où il est tombé, la fois où il est allé à la piscine... Ses yeux pétillent. Il est temps de dormir sous la moustiquaire. 20/11 On prend un petit déjeuner très sympa avec Balingho. Il raconte, rit, fume et le temps passe. L'addition est fausse, il en a oublié une partie, je rectifie. Nous partons et comme d'habitude, Sidi nous raconte beaucoup de choses. Notamment le culture du coton, en perdition, car souvent financée par les entreprises qui en avaient le monopole. Ils donnaient les semences, les engrais, les pesticides, et au moment de la récolte retenaient toutes ces avancées en nature. Du coup les paysans y sont parfois de leur poche si les récolte n'est pas bonne et la culture du coton est tombée en désuétude. Las, les paysans se sont tournés vers les cacahuètes, le maïs. On arrive au campement chez Léontine. Les femmes présentes ne sont pas au courant de la réservation mais tout s'arrange. J'engage la conversation avec Marie, qui s'occupe des chambres. Ses deux enfants sont avec l'école du village mais son fils de 10 ans deviendra pensionnaire pour passer dans une meilleure école. L'éducation reste le meilleur moyen de changer son destin... Dès que la grosse chaleur s'apaise, on va visiter le village d'Andyel, un village bedik de 200 habitants. On passe devant un camp de militaires, souriants. Arrivés au village, les noix de kola et le savon nous ouvrent les portes. Les enfants nous accompagnent, et nous tentons d'appréhender la culture des bedik. Ça ressemble un peu à celle des bassaris. Cérémonie d'initiation, circoncision sont toujours pratiquées. Mais l'excision des filles a été abolie et remplacée par une cérémonie festive ou les filles brassent une bière de mil et la boivent pendant trois jours. Tout cela avec des danses, mais aussi des touristes. Mais ensuite elles partent dans le bois sacré et nul ne peut les suivre. Passées les premières minutes où nous sommes jaugés, et délestés de nos noix de kola, les sourires s'élargissent et la visite du village se passe de manière très détendue. Bien sûr, on nous propose des petits bracelets ou colliers mais sans insistance et je prends volontiers un petit panier fait par les hommes. Ceci a été décidé par le village pour éviter aux femmes et enfants de demander des cadeaux. Le soir, nous dînons tranquillement avec Modou et Sidi. Modou nous prépare le thé sénégalais, c'est tellement fort et sucré que je n'arrive pas à le boire. Je déclare forfait avant le deuxième thé. 21/11 Après une bien mauvaise nuit (le thé ? La chaleur ?) nous sommes debout tôt pour partir au village bedik d'Iwol. La chaleur est pour bientôt et le dénivelé important implique de partir à la fraîche. On entame la marche vers 8h30 pour 45 minutes de montée. S'ensuit le défilé habituel de salutations, mains tendues, requêtes diverses autour de la noix de kola et du savon. Certaines femmes arborent une aiguille de porc-épic qui leur traverse le nez. On rentre dans l'école. Deux classes de double niveau, nous sommes salués avec tout le protocole habituel, tellement sonore que je ne comprends pas un mot. Les enfants sont en train de faire du calcul mental, avec un certain succès me semble-t-il. L'instituteur semble content de ses élèves, plutôt débrouillards. Il déplore juste un manque de matériel. La classe voisine tient le même discours. Je vais voir ce qu'il est possible de faire. La place du village est magnifique. Le chef du village nous raconte l'histoire de l'ethnie bedik, aussi dense et complexe que celle des voisins bassaris. Pour faire court, chassés du Mali au xiieme siècle, les bediks se sont réfugiés dans les montagnes pierreuses. Des abeilles et des guêpes, grâce à l'intervention bienvenue du diable local les aidèrent à vaincre leurs ennemis. Ils y sont restés et leur isolement les préserve encore un peu de la modernité. Notre guide Sidi nous explique que les filles doivent déjà avoir un enfant pour trouver un mari mais quand de retour au campement je pose la question à Léontine elle me regarde comme si j'avais perdu la tête et rabroue Sidi. Bien au contraire, sont convoitées et fêtées les filles qui arrivent à 20 ans toujours sans enfants (compte tenu du contexte, le moyen le plus sûr d'arriver à ce résultat reste l'abstinence). Leurs années d'adolescence sont rythmées par une danse rituelle qui a lieu tous les deux ans, accessibles uniquement aux filles sans enfants. À vingt ans, si elles sont encore sans enfants, elles sont l'objet d'une grande fête lors de laquelle on tue un taureau. On redescend. La chaleur devient lourde et ma dent me fait souffrir. La chaleur monte encore l'après midi jusqu'à 40 degrés. C'est le moment de payer la note, que je trouve salée. Le double de la veille ! Un coup d'œil au routard de l'année me montre une différence avec le prix inscrit. Pourquoi ? Erreur ? Arnaque ? Entente avec le guide local? Je retourne tout ça dans ma tête et décide de laisser tomber, tout en montrant que j'ai bien vu l'écart. L'après-midi nous taillons la route et la piste défoncée (très très très très, de quoi faire renoncer un chauffeur du dimanche) en direction d'un campement villageois au bord du parc Niokolo Koba. On nous dispense à l'entrée tout un tas d'informations, sur la faune locale, panthère, guépard et surtout chimpanzés, contre notre modeste ticket d'entrée. La case qui nous abrite est ornée d'un lavabo, d'une douche et de toilettes. Mais c'est de la déco, il n'y a pas d'eau courante. Ça viendra, ou pas. J'apprends donc au patron l'expression mettre la charrue avant les bœufs. Ça lui plaît beaucoup. Nous sommes à côté des cuisines. Les femmes rient et chantent pendant qu'on sirote notre Gazelle du soir. C'est l'heure de se planquer sous la moustiquaire et de chercher le sommeil dans la fraîcheur hypothétique et poussiéreuse de la case, qu'un ventilateur bruyant projette dans toutes les directions, sauf celle du lit. À trois

heures, lasse du vacarme, je lui coupe le sifflet. Pour sombrer dans un sommeil plein de rêves.

Le récit de la veille ici

Le récit de la suite


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